Jean Paillot, avocat - 2005-05-13 - 14:38:00
Le Sénat a adopté, le 12 avril 2005, le texte de la proposition de loi de Monsieur Léonetti, dans les mêmes termes que l’Assemblée Nationale le 30 novembre 2004. La proposition Léonetti est donc désormais une loi de la République. Certains aspects de cette loi sont incontestablement bons, d’autres le sont beaucoup moins.
Les aspects positifs de la loi ne sont pas tant ce qui est contenu dans la loi (A) que ce qui ne s’y trouve pas (B). Cette loi est en effet importante en ce qu’elle vient préciser un certain nombre de droits pour les malades. Pour autant, cette loi ne révolutionne rien en matière de soins. Elle apparaît ainsi davantage intéressante pour ce qu’elle se refuse à ériger en droit.
CFJD
Centre Français pour la Justice et les Droits fondamentaux de la personne humaine
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LOI « LEONETTI » RELATIVE AUX
DROITS DES MALADES ET A LA FIN DE VIE
Commentaire du CFJD
par Jean Paillot, avocat au barreau de Strasbourg, vice-président du CFJD.
Le Sénat a adopté, le 12 avril 2005, le texte de la proposition de loi de Monsieur Léonetti, dans les mêmes termes que l’Assemblée Nationale le 30 novembre 2004. La proposition Léonetti est donc désormais une loi de la République. Certains aspects de cette loi sont incontestablement bons, d’autres le sont beaucoup moins.
Les aspects positifs de la loi ne sont pas tant ce qui est contenu dans la loi (A) que ce qui ne s’y trouve pas (B). Cette loi est en effet importante en ce qu’elle vient préciser un certain nombre de droits pour les malades. Pour autant, cette loi ne révolutionne rien en matière de soins. Elle apparaît ainsi davantage intéressante pour ce qu’elle se refuse à ériger en droit.
I. – Ce que dit la loi :
La nouvelle loi est succincte dans son propos : elle ne comporte que 15 articles qui modifient pour douze d’entre eux le code de la Santé Publique, et pour deux autres le code de l’Action sociale et des Familles. On se bornera à évoquer ici les modifications apportées au Code de la Santé Publique, celles-ci représentant les dispositions essentielles de ce nouveau texte.
La loi opère un toilettage des dispositions de la loi du 4 mars 2002, son objectif consistant à renforcer les droits du malade d’une part et à accorder des droits spécifiques aux malades en fin de vie d’autre part.
A. - Le renforcement des droits du malade (qu’il soit en fin de vie ou non) consiste à :
1) éviter « l’obstination déraisonnable » en matière d’actes de soins (article 1), la loi reprenant ici une expression déjà contenue dans le code de déontologie médicale (article 37). Ainsi, lorsqu’un acte apparaît « inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », l’acte peut être suspendu ou ne pas être entrepris.
C’est là la mesure phare de la nouvelle loi, que d’aucuns présentent comme « droit au laisser mourir ». Il paraît plus heureux de dire qu’il s’agit ici d’une reconnaissance de la légitimité de l’abstention thérapeutique. Et, précisément, la différence entre une « abstention de traitements disproportionnés » et une « euthanasie par omission de traitements proportionnés » ne réside pas dans l’acte pratiqué, mais dans la proportion ou non entre l’acte pratiqué et l’état du patient. Ainsi, renoncer à un acte qui serait disproportionné permet d’éviter un acharnement thérapeutique. Tandis qu’omettre un acte proportionné constitue une euthanasie par omission, laquelle n’est pas admissible.
Il est à cet égard rappelé que le critère de proportion n’est non seulement pas nouveau en droit français, mais encore qu’il a déjà été introduit dans ce domaine particulier des droits du malade par la loi du 4 mars 2002 (article L. 1110-5 ancienne version).
Or la loi ajoute ici deux autres critères de distinction : l’acte « inutile » et celui « n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » pourraient également être omis. Le terme « inutile » est ici, très précisément, inutile. Un acte inutile est en effet nécessairement disproportionné à la situation, au sens d’inadapté à la situation.
Quant au critère concernant l’acte « n’ayant d’autre effet que de maintenir artificiellement la vie », il est quant à lui bien ambigu. La vie peut en effet être maintenue artificiellement de multiples manières, sans que l’on soit nécessairement dans une situation d’obstination déraisonnable dans la thérapeutique. On en veut pour preuve deux exemples simples :
- la dialyse rénale : elle ne peut pas être arrêtée sans provoquer le décès du patient. S’il est naturellement possible de l’interrompre quand le patient est en fin de vie du fait d’un autre problème de santé mettant ses jours en danger, il paraît invraisemblable de l’arrêter quand le patient n’est pas en fin de vie. Pourtant, c’est ce que semble prévoir la nouvelle loi.
- un traitement cardiologique par comprimés (bêtabloquants ou autres) qui stabilise un état cardiaque de façon artificielle : si on l’arrête, le malade peut faire un infarctus et mourir. De nombreuses personnes âgées sont dans cette situation. Dans ce maintien artificiel de la vie, il n’apparaît pas légitime d’arrêter le traitement médical si le patient n’est pas particulièrement en fin de vie !
A travers ces exemples, il est simple de constater que ce troisième critère, s’il est appliqué tel quel et sans nuances, d’une façon littérale, permettrait en fait de pratiquer des euthanasies par omission de soins proportionnés, ce que précisément la loi entendait éviter. C’est pourquoi il aurait été judicieux d’accueillir l’amendement de madame le sénateur Payet, amendement aux termes duquel « lorsqu’ils [les actes médicaux] apparaissent disproportionnés par rapport au but attendu, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris », le seul critère de proportion étant ainsi conservé pour légitimer ou non l’arrêt d’un traitement. Malheureusement, le ministre de la Santé, après avoir constaté que cet amendement avait été voté, est revenu dessus, et a obtenu un second vote de la loi sans l’amendement de madame Payet. Il est compréhensible que le ministre de la Santé ait souhaité par-dessus tout faire passer ce texte de loi. Mais il est fort dommage que cela ait été au détriment de la cohérence du texte en question.
2) assurer l’information du patient (article 2), d’une personne de confiance par ailleurs définie, de la famille ou d’un proche, au cas où le traitement envisagé « peut avoir pour effet secondaire d’abréger [la] vie » du patient. Ici aussi, c’est une reprise de la loi du 4 mars 2002.
3) rappeler la nécessité de prendre en compte un refus de traitement par le malade, dès lors que si le refus de traitement met en jeu la vie du patient, son refus devra être réitéré si le malade est conscient (article 4), tandis que si le malade est inconscient (article 5), la décision d’arrêt de traitements (disproportionnés ou non, le texte ne précise rien ici) sera collégiale.
On ne peut ici que marquer son étonnement sur l’absence (le refus ?) de prise en compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat (arrêt du 16 août 2002, n° 249552) sur la légitimité pour un médecin d’engager ou de poursuivre un traitement malgré le refus explicite du patient, au double cas où l’acte est « indispensable à la survie » du patient « et proportionné à son état », et ce, en dépit des termes de la loi du 4 mars 2002. Faute pour le législateur d’avoir pris en compte cette jurisprudence, il faut souhaiter que le Conseil d’Etat la maintiendra. Refuser un traitement proportionné peut en effet constituer une euthanasie par omission, comme on l’a vu, laquelle sera ici d’autant plus choquante dans le cas d’un patient incapable de donner son consentement aux soins de manière libre et éclairée.
Il est à cet égard opportun de rappeler ici que dans la pratique clinique, une personne malade a très rarement une conscience parfaitement libre et éclairée, pour la simple raison que la maladie et la souffrance obscurcissent le plus souvent au moins en partie son jugement. En supposant qu’un malade ait une conscience parfaitement libre et éclairée, ses décisions impliquent une responsabilité vis-à-vis de lui-même, celle de se faire soigner avec des moyens appropriés et proportionnés à son état. En effet, si tout homme se voit reconnaître un droit à la vie et à la liberté, ceci implique que tout homme a la responsabilité de prendre soin de lui-même et de sa vie, dans la mesure où ses capacités lui permettent d’y contribuer.
Face à une demande d’arrêt de soin, même d’arrêt de soins de base, l’équipe médicale garde la responsabilité et le devoir d’aider, avec délicatesse et tact, le patient à accepter les soins normaux et proportionnés que son état requiert, comme le précisait la loi du 4 mars 2002 (article L.1114-4 alinéa 2 du code de la Santé Publique). Cependant l’équipe soignante doit le faire dans le respect de la liberté du malade, c’est à dire avec son consentement libre et éclairé, quand il est en mesure de la donner.
B – Les droits spécifiques accordés aux personnes en fin de vie :
A côté de ces droits dus à tous les malades, certains droits sont spécifiquement reconnus aux personnes en fin de vie. Il s’agit de :
1) refuser là encore l’obstination déraisonnable, par la limitation ou l’arrêt de tout traitement. La différence entre le malade et le malade en fin de vie est que ce dernier n’a pas à réitérer sa décision. Le médecin sera tenu de respecter sa volonté, mais devra alors continuer à dispenser les soins palliatifs. On a déjà eu l’occasion de préciser ce qu’il était possible de penser sur ce point, tant dans les critères utilisés que dans la prise en compte du consentement de la personne.
2) les directives anticipées du patient hors d’état d’exprimer sa volonté (à distinguer des testaments de vie, qui contiennent le plus souvent des demandes d’euthanasie, auxquelles les médecins ne peuvent, naturellement, souscrire) peuvent être prises en compte à titre indicatif, si elles ont été signées dans un délai de moins de trois ans, étant précisé que ces directives sont révocables à tout moment (article 7). On ne peut ici que saluer la volonté du législateur de ne pas enfermer la volonté d’une personne de renoncer à un traitement à un instant donné. La pratique montre en effet que la position prise par une personne dans le passé, même par écrit, peut fort bien ne plus correspondre à sa volonté au moment où se pose la question d’un arrêt thérapeutique.
3) la personne de confiance (notion créée par la loi du 4 mars 2002) a voix prépondérante « sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées » si le malade est inconscient et ne peut manifester sa volonté (article 8).
II. – Ce que ne dit pas la loi :
A la lecture des travaux parlementaires, il est aisé de constater que la loi Léonetti a refusé de légiférer sur un certain nombre de points. Les absences qui apparaissent comme en creux de cette loi sont pour certaines fort heureuses (A), tandis qu’elles le sont beaucoup moins pour d’autres (B).
A – Ce que ne dit pas la loi, et c’est heureux :
1) Les travaux parlementaires ont été aussi longs que la loi est succincte. Devant l’Assemblée Nationale, pendant plus de huit mois, une mission parlementaire dirigée par Jean Léonetti et composée de 31 parlementaires de différents horizons politiques a réfléchi sur « l’ensemble des problèmes posés par la fin de vie ». Leur travail a abouti à la proposition de loi Léonetti. Devant le Sénat, le travail parlementaire fut certes moins long, mais non moins intéressant. Il n’a en revanche porté strictement aucun fruit, du fait de la volonté gouvernementale de ne pas modifier d’un iota le texte voté en première lecture à l’Assemblée Nationale.
Ainsi, le premier point important dans cette loi est la démarche parlementaire elle-même pour aboutir à cette loi : réunir un ensemble de parlementaires, de tous horizons, entendre, pendant de longs mois, des intervenants de tous bords (politiciens, religieux, franc-maçons, philosophes, professionnels de la santé et du droit, représentants d’associations). Cette démarche a abouti à une tentative de définition stricte de ce qu’est l’euthanasie, et de ce qu’elle n’est pas (l’abstention thérapeutique).
Il ne faut pas perdre de vue le fait que la loi Léonetti est venue apporter une réponse législative à l’émoi et aux réactions suscités en France par la triste mort de Vincent Humbert et les circonstances dans lesquelles cette mort est intervenue.
C’est ainsi qu’il y a lieu de lire la loi Léonetti pour ce qu’elle dit, mais également pour ce qu’elle ne dit pas.
2) L’euthanasie n’est pas légalisée. Le premier point important que la loi Léonetti ne dit pas, c’est naturellement que l’euthanasie n’est pas légalisée, mais au contraire que les soins palliatifs doivent être davantage reconnus et employés. L’euthanasie n’est ainsi pas reconnue comme un droit.
Ce faisant, la France ne fait que se conformer tant aux deux recommandations du Conseil de l’Europe de 1976 et 1999 , à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH, Pretty c/ Royaume-Uni, 29 avril 2002 ), à son propre système de valeurs juridiques, fondé sur le principe d’indisponibilité du corps humain, mais bien plus encore au strict bon sens. Rappelons ici les termes de l’exposé des motifs de la loi lorsqu’elle fut soumise sous forme de proposition à l’Assemblée Nationale :
« Les membres de la mission ont souhaité tirer les conclusions législatives de ces enseignements. Estimant que la dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause le principe de l'interdit de tuer, limite dont le franchissement n'a été revendiqué au demeurant par aucun professionnel de santé ni aucun juriste au cours de ses huit mois de travaux, la mission s'est attachée pour l'essentiel à codifier des bonnes pratiques. Si elle a écarté l'idée de toute dépénalisation de l'euthanasie sur le modèle des législations belge et néerlandaise, elle ne s'est pas accommodée pour autant du statu quo (…) ».
La volonté de ne pas dépénaliser l’euthanasie est manifeste.
Le tempérament de cette non-reconnaissance d’un droit à l’euthanasie est, on l’a déjà vu, le fait que, dans la pratique, et en vertu de la rédaction malheureuse de certains articles de cette loi, il soit possible de pratiquer des euthanasies par omission de soins proportionnés. Reste que le principe lui-même n’est pas admis.
3) L’euthanasie n’est reconnue ni comme un fait justificatif ni, en tant que telle, comme une circonstance atténuante de responsabilité pénale. En fait, le mot euthanasie n’apparaît nulle part dans les quinze articles de la loi Léonetti et n’est juridiquement défini à aucun moment dans cette même loi.
Selon la définition traditionnelle qu’en donne le droit pénal, on entend par fait justificatif une circonstance qui fait disparaître le caractère délictueux d’un acte qui, sans cette circonstance, constituerait une infraction. Les trois exemples traditionnels de faits justificatifs sont l’ordre de la loi, la légitime défense et l’état de nécessité. Au contraire, le consentement de la victime n’en est pas un. En voici une nouvelle démonstration législative : le consentement d’une personne à son euthanasie ne suffit pas à légitimer un tel acte.
Quant aux circonstances atténuantes, elles restent à la libre appréciation des juges , avec ces précisions qu’elles supposent l’incrimination fondée (qu’il y ait homicide, empoisonnement ou non-assistance à personne en danger) et qu’elles n’enlèvent rien au degré de gravité des faits reprochés.
B – Ce que ne dit pas la loi, et c’est malheureux :
Quatre points importants manquent à cette loi.
1) La jurisprudence du Conseil d’Etat a été étonnamment oubliée. On l’a déjà dit, cette loi a repris la rédaction de l’article L. 1111-4 du Code de la Santé Publique sans faire le moindre cas de la jurisprudence du Conseil d’Etat concernant cet article précis, jurisprudence qui considère comme légitime de ne pas prendre en considération le consentement du patient dans le cas où l’acte en cause serait « un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ».
Il aurait été nécessaire, pour le législateur, de tenir compte de cette jurisprudence qui apparaît comme à la fois respectueuse des droits du patient et des devoirs du médecin.
2) Il n’existe aucune définition du mot traitement. Ceci est éminemment regrettable, dès lors que tout traitement peut être arrêté en cas d’obstination déraisonnable. Or le législateur aurait été inspiré de distinguer les notions de traitement et de soin ordinaire, qui recouvrent des réalités distinctes.
Il existe quatorze besoins fondamentaux de la personne humaine, présentés par Virginia Henderson à l’OMS en 1969 et enseignés dans toutes les écoles d’infirmières . Parmi ces besoins, on trouve la nécessité physiologique de boire et de manger, de recevoir des soins d’hygiène ou de bénéficier d’un maintien adéquat de la température. Les soins qui répondent à ces besoins fondamentaux sont appelés des soins de base ou encore des soins ordinaires qu’il est toujours légitime de proposer quand la personne ne peut y survenir par elle-même. Ne pas répondre à ces besoins fondamentaux est au contraire considéré comme de la maltraitance .
Or l’exposé des motifs de la loi laisse entendre que l’alimentation artificielle pourrait être considérée comme un traitement, le texte précisant à cet égard que les autorités religieuses admettraient une telle position. Ceci n’est en tout cas pas vrai pour les autorités catholiques. En tout état de cause, l’alimentation, même artificielle, relève manifestement d’un soin de base, de la même façon que l’hydratation artificielle ou l’hygiène corporelle, et non d’un traitement, pour la simple raison qu’il est la réponse à un besoin énergétique fondamental de l’organisme (que celui-ci soit par ailleurs malade ou bien-portant) et non à un médicament .
Admettre que l’hydratation et l’alimentation artificielles seraient des traitements conduirait très clairement à des situations d’euthanasie par omission de soins de base . L’enjeu est ici particulièrement important pour les personnes gravement malades ou handicapées, mais qui ne sont pas spécialement en fin de vie. Le risque est particulièrement grand chez les personnes âgées, dont on sait que l’existence peut déranger un entourage intéressé par des questions d’héritage ou autres bénéfices…
3) Le problème du consentement. Rien n’est précisé quant au degré de consentement des patients qui demandent un arrêt de traitement. Dès lors que certaines omissions de traitements peuvent être lourdes de conséquences, il eût été utile d’attirer l’attention des médecins sur certaines situations qui peuvent être préoccupantes. Il en va ainsi des personnes dépressives. Leur consentement peut-il être qualifié de libre et éclairé ? De même, il est fréquent que des personnes gravement handicapées et découragées, mais non en fin de vie, estiment leur vie devenue inutile, ou encore s’estiment être des fardeaux pour leurs proches, et en arrivent à refuser des traitements pourtant proportionnés.
Si le consentement peut être retiré à tout moment, encore faut-il que ce retrait soit également libre et éclairé. Il aurait été prudent de le préciser dans ce Code de la Santé Publique.
4) La définition de la proportionnalité des traitements. La loi Léonetti utilise le terme de proportionnalité – à juste titre. Cependant, là encore, il eût été judicieux de définir ce terme. Cela eût été d’autant plus judicieux que ce terme est le seul à même de tracer une frontière entre ce qui relève de l’euthanasie par omission (illicite) et ce qui relève de l’abstention thérapeutique (non seulement licite, mais encore nécessaire) et ceci, alors que l’acte est strictement le même (par exemple : débrancher un appareil respiratoire, effectuer ou non une chimiothérapie…).
Pour expliciter cette notion de proportion, on peut suggérer cinq critères, afin de déterminer si une thérapie est, ou non, disproportionnée :
1) le type de thérapie,
2) la difficulté d’application de la thérapie,
3) la disponibilité de la thérapie (variable selon les lieux, notamment en fonction du degré de développement d’un pays),
4) le résultat que l’on peut espérer de la thérapie chez le malade, et
5) les risques encourus en raison de l’état du malade.
Dans cette évaluation de la proportionnalité des soins, il apparaît légitime d’exclure de donner intentionnellement la mort par défaut de soins, mais de chercher simplement à supprimer les traitements devenus déraisonnables, disproportionnés et inadaptés à la situation. Un tel souci n’empêche nullement d’utiliser raisonnablement tel ou tel traitement exceptionnel ou coûteux si le patient est prêt à en assumer les désagréments et si cela peut lui donner une chance supplémentaire de guérison ou d’amélioration de l’état de santé, quand bien même le résultat serait aléatoire.
En conclusion :
Ce texte apporte peu de nouveautés textuelles réelles car les différentes dispositions qu’elle contient existaient déjà en substance. La loi votée a donc pour vocation essentielle d’être pédagogique. Ce n’est d’ailleurs pas, loin s’en faut, le moindre de ses mérites.
Son intérêt essentiel paraît, à l’analyse, autant d’exclure l’euthanasie comme recours licite que d’admettre le bien-fondé des abstentions thérapeutiques pour peu qu’elles soient fondées sur le critère de proportionnalité.
Ses ambiguïtés, bien réelles, tiennent à l’absence de définition précise de certains concepts essentiels pour appliquer la loi. Le législateur a-t-il voulu laisser ce soin à la jurisprudence ? Ce n’est pas impossible. Mais ce n’est pas nécessairement courageux.
Jean Paillot
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NOTES :
1 Recommandation 779 (1976) sur les droits des malades et des mourants, du 29 janvier 1976, article 7.
2 Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, du 25 juin 1999, article 9.
3 Non seulement l’euthanasie ou le suicide assisté ne peuvent pas être qualifiés de droits, et encore moins de droits de l’homme, mais bien plus encore, ils s’opposent à un droit de l’homme fondamental : le droit à la vie tel que garanti par l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
4 Le fait que l’euthanasie ne soit pas expressément envisagée comme étant une circonstance atténuante de responsabilité n’empêche pas les juges, dans une procédure pénale engagée pour des faits relevant d’une euthanasie, d’accorder des circonstances atténuantes si elles leur paraissent opportunes. En revanche, le bénéfice de ces circonstances atténuantes n’est pas de droit.
5 Voici les 14 besoins fondamentaux de la personne, selon Virgina Henderson : 1) Respirer. 2) Boire et manger. 3) Éliminer (urines et selles). 4) Se mouvoir et maintenir une bonne posture. 5) Dormir et se reposer. 6) Se vêtir et se dévêtir. 7) Maintenir sa température. 8) Être propre, protéger ses téguments. 9) Éviter les dangers. 10) Communiquer. 11) Agir selon ses croyances et ses valeurs. 12) S’occuper en vue de se réaliser. 13) Se récréer, se divertir. 14) Apprendre.
6 La notion sociologique de maltraitance a pour corollaire juridique la notion de vulnérabilité de la victime qui peut être soit un des éléments constitutifs de certaines infractions (délaissement, article 223-3 CPP ; violences habituelles sur personne d’une particulière vulnérabilité, article 222-4 CPP), soit une circonstance aggravante de responsabilité pénale. Elle concerne aussi bien des enfants (handicapés ou non) que leurs parents ont laissés mourir de faim et de soif, que des vieillards mal pris en charge par leur entourage en institution ou à domicile.
7 La récente et tragique affaire américaine Terry Schiavo est un triste exemple de cette confusion existant entre traitement et soin ordinaire.
8 Les trois situations où l’alimentation artificielle peut être légitimement et provisoirement interrompue sont : 1) « si elle n’atteint pas sa finalité propre » : c’est-à-dire si les nutriments ne peuvent être assimilés correctement (par exemple en cas de diarrhée importante : les nutriments ne sont pas assimilés au niveau intestinal et tout part dans les selles. Dans ce cas, on arrête les apports par voie digestive pendant quelques jours et on reprend tout doucement). 2) « si elle est la source d’un danger pour la personne soignée » : on arrête provisoirement l’alimentation tant que le danger persiste. 3) « si la personne soignée est en phase terminale de son existence » : l’expérience en soins palliatifs montre la nécessité, pour le confort de la personne en phase terminale, de limiter la nutrition.